Au Bonheur-du-Jour, tiers-lieu artistique et culturel à Laon : tisser des liens poétiques au quotidien, c’est politique ! 

Fondée en 2017 dans l’Aisne, la Compagnie Petit Gros Mots est une association qui explore des projets artistiques et sociaux participatifs et un projet de recherche à travers l’action-création-formation. Depuis l’été 2022, la compagnie porte également un tiers-lieu culturel de proximité dans le quartier populaire de Champagne / Moulin Roux à Laon : Au Bonheur-du-Jour.

Accompagner les habitant·es à « s’emparer de leur propre pouvoir expressif » : voilà ce qui anime la fondatrice de l’association, Sophie Poudroux. Artiste multiple, « metteuse en mots et en images », militante farouche des droits culturels : elle nous raconte ici la vision à la fois poétique et politique qui anime l’ensemble de ses actions.

Jam littéraire sur la scène d’Au Bonheur-du-Jour : Havva et Carine lisent un poème un duo.

« Sophie Petits Gros mots » : une porteuse de projet plus qu’investie

Ayant grandi dans un milieu populaire en banlieue parisienne, Sophie n’est pas tout à fait une « bobo » qui débarque du milieu culturel pour « cultiver les autres et répandre la bonne parole ». Arrivée dans l’Aisne en 2010, d’abord enseignante auprès d’enfants présentant des troubles de la conduite dans un ITEP (Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique), Sophie fait après quelques années le choix de démissionner de la fonction publique afin de « ne pas cautionner et participer à la violence institutionnelle ». Pour compléter ses études théâtrales et sa licence en sciences de l’éducation, Sophie obtient deux certificats universitaires d’animation d’ateliers d’écriture à l’Université Cergy-Pontoise. Mue par le désir de faire vivre ses différentes pratiques artistiques avec et pour tous types de personnes, elle se lance dans l’aventure associative et fonde Petits Gros Mots, qui deviendra « Compagnie Petits Gros mots » par la suite. Pourquoi ce nom ? Pour ne pas trop se prendre au sérieux d’une part, et puis « parce que pour moi il n’y a ni petits ni gros mots en réalité : tous les mots ont la même valeur, le même impact possible » explique Sophie.

Sophie Poudroux en pleine action. Poésie offerte sur le marché, ici des textes de souhaits pour la nouvelle année : « Piocher au hasard (mais souvent le hasard fait très bien les choses) une poésie de nouvelle année, l’écouter les yeux dans les yeux, la remporter chez soi ».

Elle raconte : « La création de l’association a été comme une révélation à moi-même comme un cri intérieur face à tous ce qui nous endort ou nous façonne… Par ce biais, j’ai décidé de faire ce qui me semble bon pour moi et pour les Autres ». Depuis, Sophie n’a cessé d’aller « partout » : prisons, centres sociaux, établissements scolaires, foyers d’accueil, dispositifs d’insertion, groupes de soutien à la parentalité, etc. Elle propose des ateliers d’écriture créative toujours renouvelés, explorant par la coopération avec d’autres artistes divers médias (photo, vidéo, son, danse, illustration…) auprès de différents « publics » dits « éloignés » de la culture. Une catégorisation que Sophie conteste, soucieuse de décloisonner et d’ouvrir beaucoup plus largement les conceptions de ce que sont les personnes et de ce qu’est la culture. 

Un atelier d’écriture créative par la Compagnie Petits Gros Mots : convivialité, introspection, expression et partage.

Au-delà de la variété des thématiques abordées et des créations réalisées, les ingrédients que Sophie infusent sont toujours les mêmes : convivialité, présence, écoute, respect absolu des participant·es… et poésie.

Au fil des années et des expériences, la posture de Sophie se précise : « Je ne suis pas animatrice socio-culturelle, je ne suis pas psy : ce que je propose n’est ni occupationnel, ni thérapeutique. Mais je pense que les ateliers ont des effets sur les personnes car créer, c’est forcément se mettre en mouvement et réfléchir sur soi. »

Une compagnie qui grandit vite et confronte les institutions

Pour valoriser le travail mené en atelier au-delà de la temporalité événementielle (exposition, performances, spectacles…), Sophie décide d’adosser une maison d’édition à la Compagnie afin de publier des livres-recueils à l’issue des projets.

La production prolifique et protéiforme des Éditions Petits Gros Mots créées en 2021 : des livres, des dessins, des photos, des vidéos et des balados par – et pour – les gens !

Caractéristique de la démarche de la compagnie, le tout premier projet d’édition mené par Sophie a lieu dans un CADA (Centre d’Accueil de Demandeurs d’Asile). D’abord mandatée par la Ligue de l’Enseignement pour proposer des ateliers aux enfants le mercredi après-midi, Sophie perçoit vite la demande des femmes à qui aucune activité culturelle n’est proposé. Sophie relate : « Je rentre en relation avec ces femmes et il y a quelque chose qui se passe, une forme de connexion… Il n’y avait pas de budget, pas de commande, mais une envie de leur part… et de la mienne. J’ai proposé bénévolement un projet de création commune et on a acté que l’on s’engageait à produire quelque chose : en l’occurrence un livre. Le tout premier livre des éditions Petits Gros Mots est né comme ça. » 

Le projet a également donné lieu à une représentation publique où les femmes lisaient les textes produits accompagnées d’une accordéoniste, au sein de la médiathèque proche du CADA. Chose inédite : une personne présente dans la salle qui travaillait à la DRAC, impressionnée par ce travail, permettra au groupe de faire durer le projet en finançant la préparation de deux autres lectures musicales, une journée de présentation avec dédicace de l’ouvrage ainsi que des achats de livres pour le groupe. « En réalité ça devrait toujours se passer comme ça », commente Sophie « on devrait pouvoir partir de l’humain, de la relation, des envies des personnes… plutôt que d’essayer de mettre les gens dans des cases, appelées « publics » et les projets dans des thèmes déjà définis par les appels à projets proposés par les institutions. »  

Cette posture qui interroge le fonctionnement institutionnel, Sophie la développe depuis ses débuts, estimant que « les axonnais sont oubliés, sous-équipés en termes culturels. C’est un territoire dépourvu de beaucoup de chosesDépourvu, surtout, de visibilité à l’échelle régionale alors qu’il existe des choses, des possibles, des envies… ». Lucide, elle sait aussi que c’est ce qui a permis à son association de se développer rapidement, l’offre d’ateliers proposée venant combler une demande non-satisfaite au sein des structures socio-éducatives partenaires. 

Eminé lisant un texte du poète turc Özdemir Asaf. « Elle qui, au départ, refusait catégoriquement de lire quoi que ce soit, en français ou en turc, est devenue une fervente participante des jam littéraires ! » se réjouit Sophie, à ses côtés sur la photo. 

 Dans le cadre d’un plan de lutte contre l’illettrisme, Sophie est sollicitée par la Préfecture pour participer à un cercle restreint d’acteur·ices réunis afin de co-construire l’ingénierie du plan à l’échelle territoriale : « Là, je découvre un peu comment on parle des gens… comment on parle à la place des gens ! Certain·es élu·es, certain·es agent·es de la territoriale ou de l’État mais aussi certain·es artistes ou acteur·ices socio-culturel·les  : la condescendance, le misérabilisme… tout ça m’horripile ! ». S’affirmant résolument du côté de la défense des droits culturels, Sophie se bat bec et ongles pour faire reconnaître une vision moins descendante de la culture. 

Pour illustrer cette vision dans le cadre de la question cruciale de la lecture publique, Sophie explique : « La question de la lecture m’anime beaucoup ! Il y a dans toutes les journées professionnelles auxquelles je vais une réelle injonction à la lecture, presque comme pour le sport ou la psychologie positive. Je répète sans cesse : si vous voulez qu’une personne lise, faites-la écrire. Si vous voulez qu’elle écrive, faites-la parler ! Si vous voulez qu’elle parle, écoutez-la… mais écoutez-la vraiment. » Au-delà de l’appel à la bonne volonté culturelle, c’est à travers le fil rouge de l’expression que Sophie travaille à faire « découvrir ou redécouvrir le plaisir de lire, de se lire, de lire les autres ».

« Si vous voulez qu’une personne lise, faites-la écrire. Si vous voulez qu’elle écrive, faites-la parler ! Si vous voulez qu’elle parle, écoutez-la…mais écoutez-la vraiment » : le leitmotiv qui guide l’action culturelle de Sophie Poudroux.

Implantation progressive dans le quartier Champagne à Laon 

Si l’action de l’association s’est développée dans l’aller-vers et la mobilité à l’échelle départementale, Sophie admet avoir ressenti le besoin d’un espace qui s’est peu à peu transformé en « idéalisation d’un lieu pour accueillir et faire autrement ».  Dès la fin 2019, Sophie écrit un projet en ce sens, imaginant alors un espace en zone rurale. Finalement, des actions menées sur l’agglomération laonnoise mettent Sophie en lien avec le tissu local d’acteur·ices associatif·ves et les bailleurs sociaux : l’association se retrouve sur une liste d’attente pour accéder à un local du parc HLM du quartier Champagne, classé en politique de la Ville. 

Au sortir du confinement, la Compagnie s’installe d’abord pour un an et demi en colocation avec l’ADSEA, une association de Prévention Spécialisée dans des locaux en sous-sol d’immeuble. Idéal pour découvrir le quartier ! Sophie décide d’accompagner les éducateur·ices de rue dans leurs sorties et invente « les maraudes littéraires ». Le concept ? « Certainement pas leur proposer quelque chose ! Au contraire :  je prenais ! J’en prenais plein les yeux et plein le cœur. Pour moi dans ces rencontres, tout faisait poésie et littérature : des choses dures mais aussi des choses heureuses que les gens racontaient, leur humanité ! Il n’y avait plus qu’à tirer le fil… ». 

De cette forme de collecte informelle de parole naîtra un recueil réalisé avec une illustratrice et intitulé « Choses heureuses ». Pour autant, Sophie précise qu’elle ne se contente jamais de « prendre » uniquement : « Il faut aussi remettre sur la table, ensemble. Que chaque personne puisse se réapproprier ce qu’elle a dit. Je fais toujours relire mes notes et valider, invalider, modifier la trace laissée. Ensuite, soit elle nous donne l’autorisation de l’utiliser, soit on met en place des moyens pour l’accompagner à ce qu’elle puisse présenter elle-même sa parole. » 

La mission de la compagnie Petits Gros Mots : inventer des manières d’aller vers les gens et d’investir l’espace public, comme lors de l’été 2023 avec la kermesse poétique itinérante.

En juillet 2022, le bailleur propose à la Compagnie un appartement de 80 m2 en bas d’immeuble, « juste au-dessus du local de Prev’ », permettant à Sophie et sa petite équipe de poursuivre le travail de terrain amorcé dans le quartier. Après six mois de travaux participatifs et la collecte de mobilier chiné, Au Bonheur-du-Jour ouvre fin 2022. 

Sophie décrit : « On a voulu créer un endroit joli dans lequel on n’a pas l’impression d’être à la CAF mais où l’on peut se sentir comme chez soi, ou chez mamie, en famille ». Dès lors, Au Bonheur-du-Jour viendra répondre à ce crédo : « Ne pas devenir un lieu de consommation d’activités mais être un lieu d’inspiration, de rencontres, de liens qui permettent que des choses se créent ». 

Au Bonheur-du-Jour : centre culturel de proximité auto-proclamé !

Comme l’expose le dernier rapport d’activité de la Compagnie, ce lieu « constitue la base active du projet associatif global, là où se joue la pratique du réel, là où existe l’individu, là où se portent les ambitions de vie citoyenne, via les pratiques et rencontres artistiques, dans le respect des droits humains. Il fait vivre cet espace de création et résidence en posant la vérité de la vie des habitants comme vérité absolue avec laquelle il est possible de réfléchir, de produire et de créer ». 

Séance de découverte artistique Au Bonheur-du-Jour avec les chantiers d’insertion de la régie de quartier.

Pour expliquer cette idée de lieu de résidence permanent plus simplement, Sophie ajoute : « On laisse venir les gens avec leurs envies, leurs préoccupations… Parfois simplement pour prendre un thé ou un café. Et on tire des fils à partir de tout ce qu’il se dit dans le lieu, des échanges : tout ça nous fait une matière de création contributive de dingue ! ».

Ainsi naît le « Café Papotage », par exemple, alors que le lieu était encore en cours d’aménagement. Un groupe de femmes allophones, qui passaient devant le lieu pour amener leurs enfants à l’école, viennent à la rencontre de Sophie et Carine (une précieuse bénévole) exprimant qu’elles aimeraient avoir un endroit pour se réunir et pratiquer le français afin de consolider leurs apprentissages « sans forcément être avec une feuille et un stylo, juste parler ». Un temps animé par Carine leur est donc dédié les mardis après-midi et se trouve bientôt dédoublé face au succès du nombre de personnes. Mieux encore, le rapport d’activité de l’association détaille : « Petit à petit, les cafés papotage se sont ouverts à des personnes francophones habitantes au quartier, locutrices natives en situation d’illettrisme ou d’insécurité linguistique, qui viennent ainsi briser leur solitude en venant discuter avec des personnes non-francophones, détachant le principe d’un groupe face à une animatrice pour créer des espaces communs ».

Un Café papotage au Bonheur-du-Jour : moment de rencontre autour de la pratique informelle du français.

Mais ce n’est pas tout : rappelez-vous qu’avec Sophie Poudroux, tout devient prétexte et support de création ! Elle raconte : « On a observé beaucoup de couturières, brodeuses, tricoteuses travaillaient sur leurs ouvrages tout en discutant : des enfants, de l’exil, de la vie de tous les jours… On y a vu une matière intéressante ! » Ainsi naît le projet Poésie Tissée. Les artistes de la compagnie et une plasticienne ont accompagné les élans créatifs des habitant·es en prenant pour support les deux cafés papotage, les groupes recherche action sur les droits culturels, les ateliers enfants du mercredi et l’atelier insertion.  A l’issue du projet, l’exposition Poésie Tissée a mêlé création plastique et textile à des textes poétiques écrits par Sophie via des entrevues. 

Cocktail populaire, jam littéraire, cultureS au marché : inventer des formes et des moments artistiques avec les habitant·es

Lieu de diffusion avec au moins quatre expositions par an, Au Bonheur-du-Jour a dû revoir la formule quant aux traditionnels « vernissages » qui n’avaient pas forcément de sens pour les habitant·es. « Ici, on appelle ça un cocktail populaire », raconte Sophie, sourire aux lèvres. « Il y a une première partie avec des artistes (concert, projection, lecture…), de quoi manger toutes et tous ensemble, découvrir la nouvelle exposition installée dans la journée avec quelques habitant·e·s et enfin, une Jam Littéraire ! » 

Quelques affiches des actions hors et dans les murs de la compagnie Petits Gros Mots.

Jam littéraire, encore une invention de la compagnie Petits Gros Mots ? Sophie explique : « L’idée de la Jam est que chacun·e vienne avec un texte qu’il ou elle a écrit ou a envie de lire. Des musicien·nes sont là et peuvent improviser au cours de la lecture. Évidemment, au début il était rare que les gens amènent des textes ! Du coup, j’en propose, j’en mets plein à disposition. J’ai pas mal de recueils bilingues de poésie orientale, par exemple. Ou des petits textes que j’ai écrit avec des mots simples. Tout est accepté : lecture sur téléphone, dans toutes les langues… On a même eu une recette de cuisine ! » Et ça marche !  Sophie raconte avec enthousiasme : « Tout le monde lit ! De la gamine de 6 ans à Françoise qui a 80 ans et un penchant assumé pour les textes érotiques… Ou Farouk, qui regardait ça de loin et qui a fini par lire avec moi une poésie de Mahmoud Darwich, lui en arabe et moi en français… Des gens qui ne pensaient pas le faire finissent par y aller ! » Et d’admettre : « Je ne suis sûrement pas très objective, mais je suis réellement émerveillée par ce qu’il se passe : y un truc vraiment… comme à la maison ! Et à la fois c’est sublimé par la scène, l’éclairage, la présence des musicien·ne s qui improvisent… »

Textes poétiques mis à dispo lors des jams littéraires. Servez-vous et prenez la parole !

Pourtant, comme le rappelle Sophie, le lieu ne saurait résumer ou réduire le projet de l’association : « Au Bonheur-du-Jour, c’est un peu la base arrière. Mais c’est tout le quartier qui est notre terrain de jeu et de rencontre, qui est l’espace d’expérimentation culturelle et artistique ». 

Avoir un lieu n’empêche pas d’investir l’espace public, comme ici lors du tout premier CultureS au marché en janvier 2023 : « On a pris les meubles d’Au Bonheur-du-Jour et on les a amenés sur un emplacement du marché pour faire vivre l’espace à l’extérieur ».

Ainsi, un samedi par mois, la compagnie propose CultureS au marché « avec un grand S parce qu’il n’y en a pas qu’une ! C’est un prétexte pour mettre en relation une proposition artistique (des œuvres empruntées à l’Artothèque, des performances, des lectures…) et les habitant·es, entre les stands de fruits et légumes ou de bazar ». Le dispositif a été très bien accueilli dans le quartier « nous en sommes à la 17ème édition et des habitant·es disent qu’ils et elles aimeraient même que l’on vienne chaque semaine ! » relate Sophie. Elle se souvient aussi : « Une fois, pourtant, cela a été assez difficile. Nous emmenions des œuvres empruntées à l’artothèque de l’Aisne pour la première fois, il pleuvait, les énergies étaient un peu moches et ça a été un flop terrible ! Certaines personnes étaient presque en colère qu’on les sollicite, qu’on leur impose des œuvres d’art. Un monsieur nous a dit : Moi je n’aime pas ça ! C’est dans les musées et les musées je n’aime pas y aller. Ce n’était pas facile mais tout ça est un matériau pour moi. On travaille aussi à partir des claques qu’on se prend dans la gueule ! Pour les autres fois où nous avons emmené des œuvres de l’artothèque, nous avons encore plus affiné la médiation, cherchant à rendre la présentation plus dynamique. Les habitant·es qui étaient venu·es choisir l’œuvre avec nous sont devenu·es les médiateur·ices auprès des passant·es ».

CultureS au marché : la compagnie Petits Gros Mots cherchant à interroger les différentes perceptions de l’art et de la culture.

« Rendez-nous la culture » : un événement fort pour la défense des droits culturels en région Hauts-de-France

Depuis 2021, La Compagnie est également sollicitée dans la formation des professionnel·les de l’action culturelle et sociale et impliquée dans un processus de recherche contributive sur l’axe des droits culturels. Ainsi, Petits Gros Mots développe différents espaces de recherche-action, de recherche-formation et de recherche-création permettant aux personnes de devenir « le cœur même du processus en jeu ; l’intervenant, artiste, chercheur ou animateur n’étant là que dans une posture maïeuticienne, facilitante et sécurisante. » Accompagnée par la DRAC Hauts-de-France avec le Fonds d’Innovation Territoriale et la Fondation Carasso, la Compagnie et ses nombreux partenaires ont ainsi mené « trois années de recherches, d’expérimentations, d’essais, d’erreurs et de création autour des notions d’action culturelle et droits culturels par le prisme de la parole individuelle ».

Affiche de l’événement régional du 6 mai 2025 consacré à la question des droits culturels.

Pour restituer ce projet et questionner l’ensemble des acteur·ices de la culture de la région, un événement porté par la Compagnie Petits Gros Mots et soutenu par la DRAC Hauts-de-France s’est tenu à Laon le 6 mai 2025. À travers une création participative de théâtre documentaire, des conférences et autres performances, l’événement venait questionner les regards et langages à travers lesquels se construit l’action culturelle. 

Marie Lemay, salariée d’Ombelliscience – agence régionale de culture scientifique, témoigne à l’issue de la journée : « Vous avez mis au centre la parole de celles et ceux qu’on entend trop peu. Ils et elles ont dit des choses qu’on oublie ou qu’on ignore trop souvent en tant que professionnelles du « sociocu ». Ils ont dit leurs attentes, leurs contraintes, leurs réalités, leurs plaisirs mais aussi leurs douleurs, les oppressions subies et surtout, ils et elles ont beaucoup dit le jugement qui pèsent sur leurs épaules, les regards de biais, le mépris qui leur est renvoyé… Un très fort enseignement pour Ombelliscience qui chemine depuis 3 ans maintenant sur les voies de l’inclusion en culture scientifique dans le cadre du programme « Sciences pour toutes et tous en Hauts-de-France ».

Quelques temps forts de la journée du 6 mai 2025 ou quand les « bénéficiaires » de l’action culturelle prennent la parole pour s’adresser, en particulier, aux professionnel·les et institutions du secteur. Crédit photo : Jérôme Photo

Si la majorité des retours est plus que positive, Sophie confesse : « Je sais que certain·es me voient un peu comme une hystéro de l’action culturelle car j’ai des idées assez tranchées. Je suis clivante, je le sais. Petit Gros Mots c’est ma guérilla militante : c’est politique ». 

Faire vivre cette vision, le lieu et les actions de la Compagnie « c’est dur et magique à la fois… un peu comme la vie ! », concède Sophie. Aujourd’hui entourée d’une belle équipe équivalente à 3 temps-plein, elle ajoute : « Grâce à ce truc d’accueil inconditionnel, qui n’est pas formaté dans un programme hebdomadaire prédéfini, il y a régulièrement des moments magiques. Mais il y a aussi des choses difficiles, des postures d’artistes qui ne passent pas bien, des tensions autour de certains sujets… ». 

La dernière en date « illustre l’errance politique actuelle dont parlent les habitant·es qui ne se sentent plus représenté·es par aucun parti et qui se renferment dans des formes de rejet, dans l’Aisne comme ailleurs » et se porte sur la fréquentation du lieu. « Le lieu est fréquenté par des personnes au profil varié et, entre autres, par des personnes non blanches d’origine étrangère, ce qui a pu créer une opposition chez certaines personnes blanches de nationalité française vivant au quartier, comme si, la présence d’un public devait chasser l’autre… » décrypte Sophie. Loin des valeurs de la Compagnie et de l’idéal d’un lieu de mixité ouvert à tous·tes, cette représentation en circulation pourrait avoir de quoi décourager. Ce serait mal connaître Sophie ! « Pour l’instant on observe, mais à un moment ce sera sûrement le sujet d’une création. Ce fait-là, il faut le parler, le tracer, le sublimer… Il n’y a que comme ça qu’on pourra le dépasser, il me semble ». Parler, tracer, sublimer, dépasser : la raison d’être de la compagnie Petits Gros Mots a sans aucun doute encore de beaux jours devant elle !

Crédits photos : Lucie Thouant pour la Cie Petits Gros Mots