Invention du bail locatif contributif, ou la bonne Planque du coworking à Arras
Bienvenue à La Planque, tiers-lieu « biscornu et joyeux » ouvert en juin 2024 en plein centre-ville d’Arras. Créé sous forme de SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) sous l’impulsion d’Élise Vanweydeveldt, le lieu fait depuis ses débuts la part belle à la participation de toutes les bonnes volontés : partenariats, crownfounding, ouverture du sociétariat, chantier participatif, récupération de meubles…
Après tant d’aventures collectives, Élise ne souhaitait pas que les espaces de travail à louer soient occupés par des personnes indifférentes à la dynamique globale du lieu. Elle a donc inventé quelque chose de nouveau : le bail contributif ! Pour mieux comprendre ce dispositif et sa raison d’être, revenons à la genèse et l’identité du projet.

La Planque : un lieu de travail vivant et accueillant pour les enfants à Arras
Lorsqu’elle s’installe à Arras après quelques années en région parisienne, Elise est travailleuse indépendante et jeune maman. Elle constate à la fois le manque d’espaces de travail pour les entrepreneur·es et une carence en espaces de vie adaptés aux enfants.
Partant de ses propres besoins, elle imagine un lieu de co-working ouvert, inclusif et familial. Rapidement, la proposition fait écho, notamment auprès de femmes « solopreneures » de la cité arrageoise. Élise explique : « J’avais eu l’expérience du travail solo à la maison, et je savais que les lieux collectifs peuvent nous « sauver », parfois, du sentiment d’être isolée. Quand j’ai commencé à communiquer sur les réseaux sociaux, j’ai vu que d’autres personnes au profil un peu similaire étaient aussi en recherche de liens. »
Entourée de deux amies, Élise trouve très vite un local de 320 m2 qui convient parfaitement au projet mais nécessitant d’importants travaux de rénovation. Alors qu’Élise tente de négocier leur prise en charge par le propriétaire, c’est le coup de théâtre : ce dernier propose de lui vendre l’immeuble en l’état, à un prix abordable. Élise, qui n’avait pas envisagé cette option au départ, y voit une opportunité à ne pas manquer. En l’absence d’apport financier conséquent, réunir la somme nécessaire est un véritable défi. Branle-bas de combat !
SCI, SCIC et chantier participatif
Élise et sa petite équipe décident alors de se lancer dans la création d’une SCIC, permettant aux personnes qui les soutiennent de prendre des parts de sociétariat dans le projet. Elles mobilisent différents types de partenaires : particuliers, associations, Union régionale des SCOP ou encore Club Cigales et Pas-de-Calais Actif. Au final, 37 membres fondateur·ices apporteront leur soutien au projet, crédibilisant les demandes de prêt réalisées auprès des banques. « Pour autant, l’obtention du financement a été assez longue et compliquée, de vraies montagnes russes !» confie Élise avant de préciser « et c’est finalement la Nef qui a rendu le projet possible ». Une SCI (Société Civile Immobilière) est alors créée pour permettre l’achat du bâtiment. En juillet 2023, soit environ 18 mois après le début de ses démarches, Élise a les clés de l’immeuble qui deviendra La Planque !
Mais ce n’est que le commencement : les travaux restent à faire ! Installée sur Arras depuis peu, Élise n’a pas encore un immense réseau… Elle se lance pourtant dans un vaste chantier participatif. Là aussi, la communication en ligne, un relais dans la presse locale et le bouche-à-oreille fonctionnent à merveille. En tout, Élise accueillera 112 personnes différentes au fil des 8 mois de chantier ! « Au début, j’avais un peu peur de me retrouver seule, mais très vite les gens sont venus… et re-venus ! Les bénévoles étaient surtout des femmes, souvent en micro-entreprise, qui avaient besoin de se vider la tête et de faire des rencontres. Au final, elles se sont beaucoup investies, jusqu’aux choix de déco ! C’est devenu leur lieu. »
Cette communauté est toujours présente sur le lieu : la plupart des participant·es sont devenue client·es, une personne est devenue salariée, certaines animent des ateliers, d’autres sont devenues sociétaires et continuent à contribuer bénévolement.
Le résultat : un lien hybride pour se poser en famille, se divertir, se régaler… et travailler
Grâce à cette dynamique, le lieu ouvre environ un an après l’achat du bâtiment. Élise explique : « Aujourd’hui, la Planque, c’est un immeuble de trois étages raccordé à une petite maison en fond de cour qui propose plein de choses : un café et une cantine vegan, un espace de jeu pour les enfants, une boutique mode et déco avec des pièces de créateur·ices du coin ou issues du commerce équitable, des ateliers et divers évènements ponctuels… ».

Mais La Planque est aussi un lieu de travail : les étages ne sont pas ouverts au public mais peuvent accueillir des travailleur·ses. La Planque propose la location de bureaux, de salles de réunions et d’espaces de co-working. Dans une ville où la location d’espaces professionnels est en tension, cette dimension est indispensable à l’équilibre financier du projet. Élise raconte « Au moment de lancer cette activité de location, j’ai eu très peur que les professionnel·les qui louent les espaces ne s’intéressent pas spécialement à la vie du lieu. Je voulais qu’il y ait une cohérence avec l’esprit du lieu, et pas une simple consommation individuelle des espaces. » C’est ici qu’apparaît l’innovation imaginée par Élise.
Louer des espaces tout en distillant l’esprit des lieux : l’idée du bail locatif contributif
Élise explique : « En parallèle de l’ouverture de La Planque, je suivais la formation « Piloter un tiers-lieu » de la Compagnie dans laquelle j’ai découvert les modèles contributifs. Je me suis inspirée de ça pour créer deux forfaits de location différents : un forfait classique, calqué sur le prix du marché, et un forfait contributif. »
Le principe de ce second forfait est simple : en échange d’un loyer moins cher (environ un tiers d’économie), les professionnel·les résident·es s’engagent à donner trois heures par mois au lieu. L’idée est de leur confier des tâches simples qui permettent d’alléger la journée des trois salarié·es : tenir la caisse du restaurant, débarrasser les tables, ranger ou faire la fermeture en fin de journée, etc. Un planning en ligne est disponible, permettant aux locataires de choisir leur permanence parmi les créneaux disponibles.

Au départ, Élise pensait qu’une petite partie seulement des locataires allait faire le choix de l’option contributive. Finalement, c’est l’ensemble des 13 locataires qui ont opté pour cette formule ! Élise commente : « Bien sûr il y a l’incitation financière qui motive, mais au-delà je pense que dès lors que j’explique le principe, les candidat·es à la location perçoivent tout de suite la particularité du lieu. Et en fait, ça opère comme un filtre : les personnes à qui ça ne parle pas ne se positionnent pas. Et celles qui souhaitent louer ont compris qu’elles étaient dans un lieu qui favorise le collectif ! »
Cercle vertueux de la participation : les effets constatés
Après quelques mois d’ouverture, Élise tire un bilan plus que positif du dispositif : « C’était une bonne idée car ça a vraiment changé l’ambiance globale. D’une part ça permet aux salarié·es d’avoir du relais, d’autre part on voit que les gens se sentent vraiment impliqué·es. Maintenant, ils et elles donnent aussi des coups de main spontanés ! Je trouve que ça a permis de développer une sorte d’entraide naturelle au niveau du lieu. »

Comme l’explique Élise, la disposition du lieu, avec des salles en enfilade et une entrée unique par le café, favorise aussi cette implication : on peut difficilement entrer ou circuler sans croiser d’autres personnes. Sans en faire une usine à gaz, Élise veille à ce que chacun·e trouve sa place en favorisant souplesse et complémentarité quant aux différentes manières de contribuer : « Par exemple, on a un monsieur qui a peu de visibilité dans son emploi du temps et à qui le format des permanences ne convenait pas, mais qui est très bricoleur. Du coup, il est chargé des petits travaux d’appoint, au fil de l’eau… et au final ça arrange tout le monde. »
Pari gagné ! Après six mois d’ouverture, s’il reste encore quelques places de co-working, l’ensemble des bureaux privatifs sont loués, la programmation se développe, les client·es viennent et reviennent, les enfants courent un peu partout, le bouche-à-oreille opère et le lieu vit… « On voit maintenant des habitué·es qui utilisent le lieu en toute autonomie et expliquent spontanément aux nouvelles personnes comment ça se passe…c’est vraiment chouette ! » conclut Élise dans un sourire.