Un vent frais souffle sur les résidences autonomie, insufflé par la des démarches intergénérationnelles de tiers-lieux
Les tiers-lieux renvoient souvent à l’image de lieux atypiques. Regardons ce qu’il se passe quand les tiers-lieux s’invitent chez « nos vieux ».
À l’heure où les plus de 60 ans représentent plus d’un quart de la population française, je vous invite à pousser la porte de résidences autonomie qui ont choisi de s’ouvrir sur leur quartier et de jouer la carte de la mixité intergénérationnelle. Quels sont les enjeux ? Que proposent ces lieux ? Quel type d’accompagnement requièrent-ils et comment peut-on aller plus loin à l’appui de nos réseaux de tiers-lieux ?
Les tiers-lieux émergent souvent là où on ne s’y attend pas. Dans une gare désaffectée, une ancienne usine, un tri postal abandonné, une friche, un couvent…On y rencontre des actifs plutôt décontractés et en quête de sens, de débat public, d’action. L’intérieur de ces nouvelles adresses est conçu pour vous mettre à l’aise, tantôt bricolé en mode recup’, tantôt designé sur mesure.
Dans les résidences « autonomie », on y croise plutôt des personnes d’un certain âge, des têtes blanches, hommes et femmes, aux regards posés, à l’attitude patiente. Une attention, un bonjour suffit à allumer la flamme de leurs yeux et à engager la conversation. On croise aussi, de manière furtive, des professionnel-les. Plutôt jeunes. Beaucoup de femmes à vrai dire. Très occupées. Le bâti renvoie plutôt à un environnement social ou à l’univers médical. Et rares sont les espaces collectifs dans lesquels on se sent comme à la maison.
Ce nouveau vocable de “résidence autonomie” a été introduit par la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement (ASV du 28 décembre 2015). Mais il s’agit à l’origine des foyers-logements qui ont été créé en 1956 en réponse aux premiers signaux d’évolutions démographiques. Certaines résidences sont neuves et offrent un cadre moderne, des activités diversifiées, tandis que d’autres manquent de moyens pour entretenir leurs bâtiments issus de la première génération de résidence.

Ces lieux viennent répondre à une problématique majeure en France qui est l’isolement des personnes âgées : environ 1,5 million de personnes des 75 ans et plus. « C’est rassurant de savoir qu’il y a quelqu’un en cas de problème. Je peux participer à des activités quand je veux, mais je reste libre », témoigne l’une. « Sortir de mon logement me permet d’avoir un moral un petit peu plus approprié. Je passe des bonnes journées. Je suis contente d’être ensemble. Ça a toujours été comme çà, la compagnie d’autres personnes est d’un grand soutien pour moi et mon moral » témoigne l’autre.[1]
Les résidences autonomie offrent une solution intermédiaire entre le domicile classique et l’EHPAD (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), avec la possibilité de vivre de manière indépendante. Les logements et les espaces communs sont conçus pour limiter les risques d’accidents (absence de marche, barres d’appui, systèmes d’alerte). Elles favorisent les interactions sociales grâce à des espaces communs (restaurants, salles d’activités) et des animations (ateliers, sorties, activités intergénérationnelles). Mais elles ont aussi leurs limites. Alors comment bien vieillir aujourd’hui ?
À entendre les habitants et professionnels de la résidence DUVANT à Valenciennes, il s’agit de changer de prisme et de ne pas se focaliser uniquement sur le soin et les besoins des seniors mais plutôt sur leurs envies et leurs désirs. Qu’est-ce-qu’ils aimaient faire ? Et qu’est-ce qu’ils-elles aimeraient continuer à pouvoir faire ? Autrement dit, penser au « bien vivre » et au « plaisir », tout simplement.

Y a-t-il une recette miracle ? Il n’y en a pas.
Ceci dit, une poignée de professionnel.les de ces résidences a perçu à travers la création de tiers-lieu en leur sein une opportunité d’améliorer la qualité de vie de leurs habitant-es.
Les équipes de ces résidences ont en commun le désir d’« offrir des bouffées d’oxygène » à leurs lieux de vie nous disait le directeur de la Marpa de Locon. Elles ont envie d’ « insuffler une dynamique positive autour des résidents » l’exprimait avec ses mots la responsable de la Fonderie à Douai. Ils souhaitent que leur résidence devienne des lieux ressources, de partage et de transmission, à l’image de leurs résidents. Et pourquoi pas, changer les regards sur le vieillissement. « Les aînés ont un vrai rôle social à jouer et s’ils ne peuvent plus régaler leurs petits-enfants comme avant, offrons-leur l’opportunité de partager des repas comme à la maison » (Locon).
Ces ambitions présentent un double enjeu. En effet, les professionnel-les de ces résidences sont très occupé-es par la routine quotidienne. Or, l’émergence et la gestion d’un tiers-lieu requièrent du temps et de l’énergie. D’autre part, créer un tiers-lieu en résidence autonomie, c’est implanter un lieu ouvert au sein d’un lieu de vie et de travail. Il s’agit donc de trouver le juste équilibre entre l’intérieur et l’extérieur. Il est important que les résidents se sentent toujours chez eux et ne se sentent pas dépossédés de leur espace. Il s’agit encore de lever les freins liés à l’articulation des emplois du temps de la résidence, aux craintes des familles quant à l’ouverture vers l’extérieur de la résidence de leurs proches, et, pour les personnes extérieures, de dépasser les idées reçues et de pousser la porte d’un établissement de ce type.
Suite à l’appel à projet de la Carsat Hauts-de-France (Caisse d’assurance retraite régionale qui relève de la Sécurité sociale), depuis 2023, ce sont sept résidences (4 établissements publics, 3 établissements privés) qui bénéficient d’un soutien en ingénierie de La Compagnie des Tiers-Lieux des Hauts-des-France pour développer leurs projets, en plus d’un soutien financier dédié à leurs travaux d’aménagement. Et, le 3 février prochain, 2 nouvelles résidences rejoindront l’aventure.
Il importe donc de soigner la qualité du lieu, son aménagement intérieur. La chaleur et la lumière doivent primer pour offrir aux usagers une convivialité qui se rapproche d’un chez-soi, d’un lieu de vie familier. Il faut en faire des espaces où jeunes et moins jeunes se sentent bien.
De ce point de vue, l’implication des seniors dès le démarrage de la démarche est essentielle. « Intégrer les seniors de la ville et les résidents permet de lancer une dynamique, comprendre leurs attentes, déterminer les valeurs communes et réfléchir ensemble à la création du lieu. »[2]

Elle implique des ajustements pour l’équipe d’accompagnement. La facilitation d’une réunion avec des seniors requiert de bien choisir l’horaire et le sujet de l’échange, d’adapter les supports écrits et son élocution orale, d’aménager l’espace de manière appropriée, notamment pour fluidifier les déplacements des personnes à mobilité réduite mais aussi pour être bien entendu de tout le monde. Parfois, faire de la place aux seniors c’est aussi impliquer leurs familles, leurs proches qui ont besoin d’être rassuré-es. Ces attentions sont assez simples à mettre en place et ne doivent pas être négligées.
Ceci considéré, les séniors vous ouvrent leur monde, leurs souvenirs, leurs envies, leurs désirs. Parmi eux, la danse a beaucoup de succès. Sous forme de pratique ou de spectacle, elle est rassembleuse. Cela semble évident mais on se demande encore pourquoi on n’y pense pas plus naturellement.
Ils et elles aiment préparer des gâteaux et accueillir leurs invités avec une bonne odeur douce et sucrée dès l’entrée.
Ils ont envie de sorties, culturelles ou nature, comme les promenades en péniche ou les virées à la mer.
Les plus jeunes d’entre eux souhaitent s’entraider et soutenir ceux qui sont seul-es ou isolé-es de leur famille. Les échanges peuvent se faire par téléphone en lien avec la maison de quartier ou l’association Les Petits Frères des Pauvres.
Enfin, ils aiment lire, seul ou en groupe, écouter des lectures et « papoter ». Vivre en somme !
Des liens sont à tisser avec les acteurs locaux : associations de contes, d’insertion, école de danse ou découverte nature. Ouvrir les portes, mixer les publics, même dans leur spécificité. C’est le projet de la résidence DUVANT d’accueillir dans sa nouvelle cuisine collective des apprentis cuistots porteurs d’une reconnaissance de handicap.
Dans cette résidence de Valenciennes trône un magnifique piano à queue qui a perdu son dernier utilisateur… Pourquoi ne pas héberger les répétitions d’une chorale de quartier comme le fait l’EHPAD de la résidence Saint Maur à La Madeleine ?

A la Fonderie à Douai, le décloisonnement s’opère justement grâce à sa proximité avec la médiathèque municipale et le conservatoire de musique qui lui font face. L’équipe a organisé avec eux une kermesse un an avant l’ouverture du tiers-lieu afin de se faire connaître des habitants et associations du quartier et de trouver le nom de leur nouvel espace.
Grâce à une publication dans la presse locale, la Fonderie a trouvé le nom de son tiers-lieu : le PAPO’THÉ. Le tout, de manière participative. Inauguré en juin 2023, le PAPO’THÉ est aujourd’hui un café citoyen, une halte d’échanges, une petite brasserie implantée au cœur de la résidence qui fonctionne sur réservation.
Le menu se différencie de celui proposé dans la salle à manger des résidents. Une boisson chaude par jour est offerte aux résidents ce qui permet aux différents usagers de se côtoyer. « Je suis passé de consommateur à participant au projet » témoigne Jean, employé de la médiathèque installée de l’autre côté du trottoir. « Sortir de ses habitudes fait du bien, ça fait vivre » souffle Anne en charge des seniors de la Ville. D’après l’équipe, le Papo’thé est aussi « un espace plus intime pour les résidents qui permet de laisser place aux émotions ».
Cette résidence héberge aussi une plateforme de répit d’aide aux aidants et le tiers-lieu peut leur profiter également.
Les aidants représentent une autre cible majeure pour l’ouverture des tiers-lieux aux aînés. Ils représentent 11 millions de personnes en France. Ils consacrent, en moyenne, 20 heures par semaine à ce rôle, avec des conséquences majeures sur leur vie personnelle, professionnelle et leur santé. En leur honneur, depuis 2010, le 6 octobre est devenue la journée nationale des aidants. Voilà un bon tips pour les concierges de tiers-lieux !
Parmi ces résidences, il me parait important de souligner l’existence des Maisons d’Accueil Rural pour Personnes Âgées (les MARPA). Petits établissements organisés en fédération, elles offrent un cadre familial et évitent le déracinement des seniors qui sont nombreux dans les zones rurales (environ 40% contre 25% en zone urbaine). Elles accueillent les personnes autonomes ou légèrement dépendantes. On en recense 200 réparties sur 70 départements. Dans le village de Locon (62), l’équipe de la MARPA met un point d’honneur sur la chaleur de l’accueil et la qualité des repas de ses résidents. Toutefois, elle porte aussi un regard sur son territoire et anticipe les besoins des habitants en prévoyant la mutualisation d’un véhicule électrique, l’ouverture d’un espace de coworking et l’accueil de formations dans son tiers-lieu. Elle voit celui-ci comme une plateforme de services en milieu rural.
C’est le cas également de la MARPA de Saulty. Dans un contexte où aucun commerce d’alimentation n’est situé à moins de 10 km de la résidence, il existe une forte demande des résidents et des habitants pour développer un lieu de rencontre intergénérationnelle, de lien social et de convivialité. Le projet de tiers-lieu vise à créer des espaces modulables et de nouveaux services à destination du territoire tels qu’une épicerie, un point café-presse et un restaurant.
La résidence de Barlin, elle aussi, a pris le virage de l’innovation sociale. Elle héberge sous son toit, un EHPAD et 2 classes de l’école maternelle. La démarche tiers-lieu est pensée pour aller plus loin. L’équipe souhaite répondre à la fracture numérique qui touche les seniors et accentue leur isolement de manière drastique. Elle présente sa démarche comme « une aventure intergénérationnelle pour faire cohabiter les habitants qui terminent leur vie avec ceux qui la débutent».

Pour conduire ce type d’aventure, il faut une dynamique collective territoriale solide. L’équipe de la résidence, seule, ne suffit pas. Depuis 2020, la résidence Raymond Gernez accueille les professionnel-les du dispositif Solid’âge « Vivre Mieux Ensemble » et la différence se fait sentir dans la salle dans les échanges autour du futur tiers-lieu : partage de ressources, de recettes, de bénévoles, d’espaces, prêts, échanges… Leur maturité leur a d’ailleurs permis de choisir très vite le nom de leur nouvel espace. Ce sera le « Café des âges » et peut-être aussi le premier café chat de Cambrai.
CONCLUSION
A ce stade, ces projets sont sur les rails mais la route est longue et ils sont encore émergents. Ils ont besoin de temps pour trouver les conditions de leur pérennité.
On a coutume de dire qu’une entreprise sur 2 ferme dans ces 5 premières années. Face à ce défi, l’accompagnement de la Compagnie des tiers-lieux dure 9 mois. Le temps d’une gestation dira-t-on. Mais à l’échelle de ces projets, c’est bien court !
Ces projets de tiers-lieux sont loin de pouvoir être comparés à une simple entreprise individuelle. Ils sont multipartites, répondent à une problématique sociétale majeure et appliquent des principes de coopération territoriale qui requièrent de la patience et d’excellentes habilités relationnelles. Des compétences assez rares pour être soulignées !
L’enjeu pour notre équipe d’ingénierie est donc de prolonger les liens avec ces résidences en s’appuyant sur la structuration de notre réseau de tiers-lieux, notamment via la vie de nos cercles territoriaux dans les Hauts-de-France, dans le cadre de nos formations certifiantes et à l’appui de nos permanences d’experts…
Mais avant cela, nous disposons de 9 mois pour poser le socle de chaque projet.
- Nous commençons par identifier les envies des équipes comme les limites que présentent les projets.
- Nous accompagnons l’alignement des valeurs partagées. Nos équipes accompagnent également les initiateurs dans la mobilisation de parties prenantes autour d’eux pour identifier de nouvelles ressources qui vont contribuer à la vie du tiers-lieu : résident.es, familles, professionnel-les, associations locales, partenaires qui seront tôt ou tard impactés par le projet.
- Nous aidons à la définition des activités principales du futur lieu qui permettent d’identifier l’ADN de chaque projet.
- Nous introduisons très tôt la notion d’hybridation de l’offre et des ressources et l’inscrivons dans la réflexion autour de l’aménagement de l’espace. Ce sujet est souvent apprécié car c’est une manière très concrète de faire avancer le projet pour les profils les plus pragmatiques !
- Enfin, nous invitons le premier cercle de contributeurs à trouver leur rythme et le format de leurs rencontres. Nous les encourageons à rester ouvert à l’accueil de nouvelles personnes et à réfléchir aux conditions de leur embarquement. Comment documenter le projet pour laisser des traces ? Comment partager la gouvernance ?
Ce programme comprend également un volet « communication » et « sensibilisation » car l’objectif est d’essaimer et de donner envie à d’autres gestionnaires de résidences autonomie de se familiariser à la culture tiers-lieux.

L’Association Nationale des Tiers-Lieux (ANTL) a bien saisi ces enjeux. Elle vient de lancer une initiative autour du bien vieillir. Sa proposition consiste à sensibiliser les tiers-lieux aux besoins et envies des seniors. Dès le mois de mars, 2 webinaires seront proposés pour mieux connaître les droits des retraités, leurs envies, leurs besoins, les problématiques les plus courantes qui se présentent dans un contexte de mixité intergénérationnelle. Dans la foulée de ces webinaires, un appel à manifestation d’intérêt sera ouvert et 10 projets autour du bien vieillir seront sélectionnés et soutenus. Une priorité sera donnée aux porteurs de projet des zones rurales.
Un beau programme en perspective pour cette nouvelle année !
[1] Témoignage d’une résidente, Résidence autonomie de Pérenchies Les Sapins Bleus
[2] Résidence autonomie Les Trèfles à Barlin