Le Grand Tour : La notion de “Qualité de vie au Travail”

[Précédemment dans Le Grand Tour] : Le précédent article Le Grand Tour : préoccupations, actus et ressources des tiers-lieux nous a donné un bel aperçu des informations recueillies pendant le Grand Tour des tiers-lieux.

Penchons nous maintenant sur une problématique souvent taboue, mais qui concerne de nombreux.ses porteur.e.s de projets, salarié.es ou bénévoles : La notion de “Qualité de vie au Travail” et de ses conséquences si celle-ci est mise à mal : les risques psychosociaux.

Dans le cadre de structures comme les tiers-lieux où la relation humaine est centrale, le bien-être au travail devrait être un des principes fondateurs. Pourtant, que ce soit évoqué de manière claire par les professionnel.le.s concerné.e.s ou lors d’une observation de la part des contributeur.ices, 9 lieux sur 19 visités durant le Grand Tour seraient sujets à ces risques. La surcharge de travail et l’épuisement qui en découlent n’est pas sans conséquence. Personne, même dans le milieu de l’économie sociale et solidaire, n’est à l’abri d’un épuisement, voir d’un burn-out…   

Souvent, le choix de travailler dans une structure de l’ESS se détermine par le fait de croire en “une juste cause” et de vouloir en devenir acteur.ice . Mettre en place de nouvelles méthodes de travail plus démocratiques, modifier le rapport à la lucrativité et être solidaire avec autrui. Quand une cause ou un projet nous tient à cœur, l’investissement se fait de manière intense. Il arrive que la vie professionnelle se mélange à la vie personnelle. Tous.te.s réuni.e.s autour d’un même projet, nous en faisons parfois une “seconde maison” et l’équipe ou la communauté devient ainsi “une grande famille”. Cette posture n’est pas à blâmer,  je serais mal placée pour le faire. Elle peut pourtant devenir ambivalente quand beaucoup d’énergie est déployée en vue de la sauvegarde de ce beau microcosme.

Quelques définitions pour comprendre ce dont nous parlons. 

Comme évoqué en amont, la qualité de vie au travail est déterminée par plusieurs facteurs. Quels que soient les secteurs d’activités et le type de structure, elle se définit par les dispositions mises en place par les entreprises pour assurer le bien-être des employés. Si cette qualité de vie n’est pas prise en compte, alors cela peut engendrer des risques psychosociaux. Eux-mêmes génèrent des conséquences sur la santé mentale et physique d’un.e salarié.e ou d’un.e bénévole. Trois catégories de risque sont identifiables : le stress au travail, les violences internes et les violences externes. Le sujet étant long et complexe à traiter, nous nous attarderons ici sur ce qui a été observé lors du Grand Tour : les risques liés au stress au travail. 

Pour celles et ceux qui le souhaitent, vous trouverez en fin d’article quelques liens pour aller plus loin sur le sujet. 

L’observation la plus frappante est que le ressenti d’épuisement se trouve majoritairement dans les lieux où le modèle économique est en péril et où la charge de travail repose sur une ou deux personnes référentes.

Parkour 59 Rémi, salarié du lieu et Aurélie de la Cie tiers-lieux.

Une charge mentale non négligeable. 

Si l’on souhaite qu’un lieu vive et ne périclite pas, plusieurs actions sont à mener : créer et animer une communauté pour éviter de se retrouver seul.e, monter des partenariats avec les mairies ou autres institutions publiques pour lever des fonds via des subventions ou négocier du foncier, faire de la communication, gérer une équipe, asseoir un modèle économique stable…

Tant de choses qu’il faut avoir en tête pour que tout fonctionne. Quand une communauté est nombreuse et active, les tâches peuvent être divisées. Si l’équipe est réduite, la charge mentale qui pèse sur les individus s’intensifie et la surcharge de travail devient une surcharge mentale. Bien entendu, chacun.e est différent.e et certaines personnes tolèrent davantage la pression que d’autres. Cependant, il est important que l’entourage soit vigilant aux signes de fatigue physique et mentale. Ici, la Compagnie des Tiers-Lieux peut avoir son rôle à jouer dans la prévention des risques psychosociaux. 

Un besoin de sécurité non comblé : quand le modèle économique ne répond plus au bon fonctionnement du lieu. 

Le manque de sécurité nous met dans l’inconfort, que ce soit dans une situation de la vie de tous les jours ou au travail. Cette sensation a bien été illustrée par Reika et Carole de Maillon Fertile On a la sensation de jongler avec des œufs, mais qu’ils ne tombent pas par terre.”. Cette sensation fait lien avec des questions de foncier et des charges économiques importantes de leur grande et belle baraque. Sans aide notoire de la part des organismes publics, c’est sur un fil tendu qu’il faut repenser leur modèle économique. 

Cette sensation, si bien mise en image, est d’autant plus oppressante qu’elle peut engendrer des réactions en chaînes : manque d’argent, manque de ressources humaines, épuisement, fermeture du lieu. S’en suit alors une course contre-la-montre pour sauver ce qui nous est cher. Pas de panique, Maillon Fertile n’est pas dans ce cas, mais je suis quasi convaincue que dégager un salaire pour Reika ne serait pas de refus ! 

Car, petit spoil pour celles et ceux qui ne sont pas encore allé.e.s voir tous les “critères” de la qualité de vie au travail. L’un d’eux se base sur la reconnaissance. Qu’il soit intentionnel ou non, un déséquilibre entre les efforts et la récompense peut, à la longue, participer à l’épuisement d’une personne. Bien sûr, on peut trouver une reconnaissance dans les retours des utilisateur.ice.s du lieu… Mais, pouvoir vivre de tout le travail fournit, est une récompense non négligeable. 

Nota Bene : Il arrive souvent que des porteur.euse.s de projet travaillent de manière bénévole et en cumulant un autre emploi, cela pendant plusieurs années.

Reika et Carole devant Maillon Fertile.

Un second lieu attire l’attention de nos contributeur.ices. Il s’agit de Parkour 59. L’équipe initialement composée de 10 salariés est passée à 3 en peu de temps. Pour cause, l’arrêt d’un financement européen. Problème : le modèle économique était basé sur ce seul financement. Il faut alors repenser tout le montage financier, mais à effectif réduit : trouver d’autres rentrées d’argent, mettre en place une veille sur la recherche de subventions, le tout en faisant en sorte que les activités du lieu se poursuivent dans de bonnes conditions. Vous la voyez arriver la surcharge de travail ? 

N’oublions pas que les personnes qui y travaillent croient en leur tiers-lieu et souhaitent le sauver. Il y a l’espoir que les personnes licenciées à l’époque puissent revenir plus tard dans l’association. Les besoins observés par la Compagnie seront de donner une expertise sur les modèles économiques autour de l’insertion professionnelle. Mais aussi d’être vigilant et prévenir un potentiel essoufflement de l’équipe restante. 

Je laisserai le mot de la fin à Geoffrey Sebille, auteur de la chronique “Bienvenue au Tiers-land”, lors d’une conversation à propos des problèmes économiques qui menacent certains lieux :  “On ne peut pas s’investir sans qu’il y ait un minimum de retour.”

Pour aller plus loin …