Témoignage de Noémie Hilmoine : « Je ne me reconvertis pas, je transitionne »

Ode aux personnes que j’accompagne à créer les lieux de demain

Il y a quelques mois, au sortir du Tedx Roubaix, beaucoup de lumières se sont allumées et m’ont donné envie de mieux décrire la vision que je défends, qui a grandi au fil de mes expériences, notamment au Germoir, et que je développe dans mes accompagnements de porteur de projet d’ESS. C’est très personnel, ça n’est pas documenté, c’est un partage, juste.

Eclairer le bon angle :
 
J’accompagne des personnes à créer leur activité, et notamment à créer des lieux atypiques : des fermes en multi-activité, des jardins partagés, des tiers-lieux.
 Ces personnes, parfois, ont ressenti une déception latente face aux fonctionnements contemporains, se sentent en décalage, cherchent, doutent, et s’allument un jour en retrouvant un geste ancien, une odeur, une situation dans laquelle elles ressentent du bien-être. Une petite corde se met alors à vibrer… à vibrer de nouveau. Ce sentiment précis, une fois qu’on le touche, c’est celui qu’on veut vivre au quotidien, qu’on veut chercher dans toutes ses expériences.
 
 Ce que j’aime chez elles, c’est leur humilité, quand elles acceptent de se faire aider, la confiance qu’elles accordent pour suivre une proposition, une voie ou des méthodes qui les déroutent. J’aime l’authenticité avec laquelle elles livrent leur parcours, leurs envies, leurs peurs et leur capacité à s’animer pour des causes plus grandes qu’elles. 
 
 Ces personnes, je voudrais les définir comme des personnes qui ont un potentiel à se « rallumer » et je crois que le monde a tout intérêt à s’appuyer sur elles car elles sont l’avenir, car elles possèdent le « socle humain » pour être de celles et ceux qui vont créer les postes de demain, pour elles, mais pourquoi pas pour d’autres ?

Mon travail dans tout ça : les aider à voir. 

Voir le beau qui est déjà, voir le beau qui peut être, juste en faisant bouger leur vision, en mettant les bonnes lunettes. En les renforçant positivement, en les plaçant au cœur d’un groupe et en veillant au cadre, pour que se produise le miracle humain: les gens se portent les uns les autres, et apportent aux autres ce dont ils ont besoin.

Je suis fascinée par cela. Je le vois avec des yeux d’enfant à chaque fois, ça m’émeut, même.

J’ai une grande foi en l’humanité et sa capacité de liant. Juste, peut-être, faut-il parfois des personnes comme nous, les accompagnateurs, coachs, facilitateurs, pour montrer à voir la beauté de ce qui est.

Ensuite? S’arrêter et se regarder…

Se voir, accepter d’en être là où on en est.

Peut être l’étape la plus confrontante, pour celle ou celui qui n’est pas allé creuser un peu en soi, qui n’a pas l’habitude de se poser pour voir « ce qui est ». Ça peut être dur, ça peut être ou ne pas être le moment. Si ça ne l’est pas, on laisse. Les défenses ne sont pas là par hasard.

Et après? Embrasser l’incertain et accepter l’inconfort.

«  Est ce que j’aurais le temps pour moi et mes proches dans cette nouvelle vie professionnelle idéalisée »?

« Est ce que je suis capable, est ce que mon corps est capable? »

« Est ce que mon modèle économique tient la route? »

Peur de soi, de l’image qu’on donne à voir, du changement, de la faillite, de tout perdre, du vide, de la mort, peur d’avoir peur. C’est tellement humain, qui pourrait leur jeter la pierre? Certainement pas moi. 

Or, l’inconfort est déjà dans le doute qui les habite. Le but est de choisir son inconfort. Et de voir le mouvement comme étant intrinsèque à la vie.

C’est la posture que ces personnes prendront qui fait qu’elles seront épanouies professionnellement. On peut toujours chercher quoi faire, mais il me semble plus utile de chercher qui être. Se changer soi pour changer le monde… C’est érodé comme concept mais je n’ai pas trouvé mieux encore pour le dire.

Si je reviens au titre de mon propos. Tu es « converti » toi?

On parle de reconversion. Mais arrêtons nous un instant sur le terme. se re-convertir. Suis-je un « converti » professionnel? 

Et d’ailleurs, “se reconvertir”, ça voudrait dire se convertir à autre chose? 

Les termes sont importants… l’idée de conversion est assez tranchée, elle génère autant d’admiration et d’envie dans la société… que de peurs et de blocages à l’intérieur de soi, quand on y pense.

« Mais si je change, je vais perdre mon salaire, ma maison, un cadre de vie qui me plait »

« Et si je ne change pas, je vais m’éteindre, je vais devenir un robot, je vais finir par tomber malade »…

Dilemme… quel est le désirable dans ces 2 propositions?

Les mots ont une importance. cruciale.

Peurs et désirs

En tant que porteur.se de projet, on prend le risque de tout faire s’écrouler dans sa vie alors que le monde même s’écroule. Wouaww, ça fait rêver… Courage, fuyons j’ai envie de dire! On décrit souvent le monde comme étant VUCA, VICA en français (volatile, incertain, complexe et ambigu). Brrrrrrrrrr, moi rien que de lire ces 4 mots ensemble, je tremble et j’ai envie de me cacher sous un plaid pour le restant de mes jours…

Car oui, il faut bouger vite pour s’adapter aux changements, aux bouleversements, aux tendances toujours mouvantes.

Oui rien n’est sûr, et la notion d’acquis professionnel a pris du plomb dans l’aile ces dernières années.

Oui c’est complexe, beaucoup de données sont à prendre en compte. Mais la coopération rend cette complexité beaucoup plus abordable, car chacun peut s’attaquer à un « tout » selon son prisme, et se compléter avec d’autres.

Et oui c’est ambigu, mais nous avons les outils pour clarifier les rôles, mettre de la cohérence.

Voyons déjà le beau du présent, pour construire le beau du futur! 

Ce qui est, est. Apprenons à apprendre à ces futurs entrepreneurs créateurs de lieux de vie, de partage et de nouveaux modes de faire. 

Aidons les à voir leur curiosité comme une chance, leur multipotentialité comme un don, et pas comme une fatalité, un fardeau ou le symptôme d’une instabilité caractéristique de leur personnalité. 

Aidons-les à surfer sur les vagues. Voilà le renforcement des soft skills qui me semble plus urgent, bien plus qu’un haut niveau de technicité, par essence obsolète très rapidement (on parle de 18 mois).

Utiliser la positivité est un des moyens puissants pour aborder le monde, beaucoup de lectures existent sur ce sujet, je n’invente pas l’eau chaude. C’est tout de suite plus moteur, on se sent dans un mouvement, quand on transitionne, on bouge, et on comprend de fait la notion de temps ; on l’accepte mieux.

Tout ça pour dire quoi?

Pour dire que j’accompagne les personnes à transitionner pour créer les (tiers-)lieux de demain, qu’ils soient nourriciers, numériques, culturels… et que ce métier a un sens énorme pour moi.

A devenir une version plus alignée sur EUX, sur ce qu’ils veulent être et donc aligné au monde. Ma croyance profonde, et encore une fois elle m’appartient, c’est qu’au plus les humains arriveront à accéder à leur profondeur d’être et l’exprimer, au plus ils vont s’accorder entre eux, au plus ils rendront les systèmes résilients, auto alimentés, et donc performants (vous comprenez bien que la notion de performance ici revêt un panel de critères beaucoup plus large que la simple rentabilité financière).

C’est ce qui fait société.

Merci, les transitionneurs, merci les créateurs de tiers-lieux. On est à vos côtés!

Noémie Hilmoine